Le Service juridique du Regroupement Loisir et Sport du Québec a récemment défendu devant le Tribunal des droits de la personne (le « Tribunal ») un club de soccer à qui la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (la « CDPDJ ») reprochait de faire preuve de discrimination fondée sur le sexe. Ce qui était spécifiquement reproché au club était d’offrir ses activités de soccer à ses membres en offrant seulement deux options, à savoir : joindre une équipe de soccer féminine ou une équipe de soccer masculine. Or, au Québec, le sport est souvent organisé de cette façon.
Dans son jugement Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Bellemare) c. Club de soccer les Braves d'Ahuntsic, 2021 QCTDP 18, le Tribunal des droits de la personne a rejeté la demande de la CDPDJ et a donné raison au club de soccer.
Historique
Une plainte à la Commission des droits de la personne a d’abord été déposée par la mère de deux jeunes filles lorsqu’elle a constaté que le club de soccer n’acceptait pas d’intégrer ses deux filles de 4 et 6 ans dans un groupe de garçons à l’été 2016. La mère a choisi de ne pas inscrire ses filles à l’activité offerte par le club cet été-là. La CDPDJ a procédé à une enquête et a conclu que la mère et ses deux filles avaient fait l’objet de discrimination. Elle a subséquemment déposé une demande en leur nom devant le Tribunal des droits de la personne, réclamant pour chacune d’elles un montant de 4 500 $, ainsi qu’une ordonnance forçant le club de soccer à offrir un service sans discrimination.
Position des parties
La position de la CDPDJ était que le fait d’offrir un service où l’on sépare les filles et les garçons est discriminatoire en raison de la séparation des enfants en fonction de leur sexe, notamment en ce que selon que l’enfant inscrit est un garçon ou une fille, l’activité se déroule sur un terrain plutôt que sur un autre, à une heure et une journée plutôt qu’à une autre, mais surtout parce qu’une fille ne peut jouer avec des garçons et qu’un garçon ne peut jouer avec des filles.
La position défendue par le club de soccer était qu’il n’a pas porté atteinte aux droits de la mère et de ses deux filles, puisqu’il offre aux groupes composés exclusivement de filles le même programme d’entraînement qu’aux groupes composés exclusivement de garçons, dans des conditions presque identiques. Le club de soccer réfutait donc toute allégation de discrimination à son encontre.
Analyse du Tribunal
Le Tribunal commence son analyse en rappelant l’importance que la nation québécoise accorde à l'égalité entre les femmes et les hommes.
Ensuite, il procède à l’analyse du cadre général de la discrimination en décortiquant l’article 10 de la Charte de droits et liberté de la personne, qui définit ce qui constitue une discrimination :
« 10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. »
Trois conditions sont donc requises pour permettre de conclure à l’existence d’une discrimination :
1. Une distinction, une exclusion ou une préférence;
2. Qui est fondée sur l’une des caractéristiques énoncées dans cette disposition; et
3. Qui a pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance et l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne.
Faisant l’analyse de la première condition, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas de préférence : le programme d’entraînement offert est exactement le même, les terrains sont tous deux appropriés pour la pratique du soccer et les heures auxquelles les séances d’entraînement se déroulent sont semblables.
Le Tribunal juge également qu’il n’y a pas d’exclusion, puisque tous peuvent bénéficier des mêmes services du club de soccer avec des enfants de leur groupe d’âge.
Le Tribunal conclut cependant qu’il y a une distinction en ce que tous ne sont pas traités de façon strictement identique, faisant en sorte que la première condition d’application de l’article 10 de la Charte est remplie.
Quant à la deuxième condition d’application, elle est elle aussi remplie, car la composition des groupes est effectuée en fonction du sexe des participants, soit l’une des caractéristiques énoncées à l’article 10 de la Charte.
Le débat a porté essentiellement sur la troisième condition d’application : pour conclure à une discrimination, il doit être démontré que les conséquences d’une telle distinction détruisent ou compromettent la reconnaissance ou l’exercice, en pleine égalité, d’un droit protégé par la Charte. Le fardeau de cette preuve reposait sur la CDPDJ.
La CDPDJ alléguait que les droits protégés énoncés aux articles 12 et 4 de la Charte étaient compromis.
· Article 12
Article 12 de la Charte :
« 12. Nul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public. »
Le Tribunal note que le club n’a pas contrevenu à cet article, puisqu’il n’a pas refusé de conclure un acte juridique avec la mère. C’est elle qui a pris la décision de ne pas inscrire ses deux filles. Le Tribunal précise également que le fait que les services offerts par le club de soccer ne correspondent pas aux idéaux de la mère ne crée pas une situation discriminatoire.
Même en interprétant largement l’article 12 de la Charte, le Tribunal en vient à la même conclusion. En effet, il indique « [la] preuve démontre sans l’ombre d’un doute qu’au-delà de quelques différences non significatives, le service offert par le Club aux filles était en tout point comparable à celui offert aux garçons. »
· Article 4
La CDPDJ alléguait que le club de soccer avait atteint à la dignité de la mère et de ses filles, contrevenant à l’article 4 de la Charte :
« 4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. »
Or, le Tribunal conclut que la preuve démontre tout au plus que les deux jeunes filles étaient déçues de ne pas jouer au soccer à l’été 2016 et que leur mère n’était que frustrée, ce qui n’est pas un préjudice suffisant pour constituer une atteinte à leur dignité. Le Tribunal juge bon de préciser que « [d]ans une activité récréative destinée à des enfants de cet âge, le fait de composer les groupes de telle sorte que les garçons jouent avec les garçons et que les filles jouent avec les filles ne porte aucunement atteinte à leur dignité d’êtres humains ni à celle de leurs parents. »
· Mixité et stéréotype
La CDPDJ a tenté de démontrer que le seul fait d’offrir un service non mixte constitue une discrimination. Le Tribunal réfute cette prétention et refuse de conclure que la mixité serait obligatoire dans la prestation d’un service d’ordre récréatif ou sportif afin de garantir l’égalité. Il juge plutôt qu’il faut tenir compte de « la nature et des composantes spécifiques du service offert » et qu’il « n’existe pas de présomption de discrimination du seul fait qu’un service ne soit pas mixte ».
De plus, le club de soccer s’insère dans une structure verticale fédérée et, avec l’aide d’un représentant de sa fédération québécoise, il a démontré au Tribunal que « la séparation des groupes en fonction du sexe des enfants ne repose clairement pas sur des stéréotypes à l’endroit des filles ou sur une attitude discriminatoire à leur endroit », notamment lorsque l’on prend en considération le développement à long terme des joueurs.
Conclusion du Tribunal
Le Tribunal conclut en indiquant que si « le sport participe à la construction des identités masculines et des identités féminines » comme le soutient la CDPDJ, tant les garçons que les filles doivent « pouvoir se retrouver dans une équipe composée uniquement de leurs pairs. Dans cette perspective, les garçons doivent avoir la possibilité, tout comme les filles, de développer leur plein potentiel, de prendre conscience de leur valeur et de leur identité propres et de nouer des solidarités sur cette base ».
En conséquence, le Tribunal conclut que le club de soccer n’a pas fait preuve de discrimination à l’égard de la mère ni de ses filles, et que la réclamation de la CDPDJ est ainsi mal fondée.
Lorsque le service offert est équivalent pour l’ensemble des enfants, il n’y a pas lieu d’intégrer des filles dans des groupes de garçons pour qu’elles reçoivent un service exempt de discrimination. Au contraire, le Tribunal juge que cette façon de faire « entraîne une inégalité patente et injustifiée à l’égard des garçons en les privant de la possibilité de se retrouver entre pairs ».
Limite du jugement
Le Tribunal laisse cependant supposer que sa décision aurait pu être différente si la CDPDJ avait pu faire la preuve de l’un ou l’autre des éléments suivants:
· L’existence de bénéfices que pourrait apporter la mixité dans les activités offertes par le club de soccer aux enfants de 4 et 6 ans;
· L’existence de désavantages découlant d’une séparation selon le sexe de ces enfants;
· Qu’une séparation selon le sexe « génère ou entretient un sentiment d’infériorité chez les filles ou une perception d’infériorité à leur égard au sein de la société »;
· Qu’une séparation selon le sexe perpétue « des préjugés ou des stéréotypes à l’égard des filles du groupe d’âge concerné ».
Par ailleurs, le Tribunal indique clairement que certaines situations particulières nécessitent d’intégrer une fille dans un groupe de garçons, et vice-versa, « en raison de caractéristiques individuelles particulières », par exemple, s’il n’existe pas de groupe du même sexe d’un niveau approprié.
Appel
Il est important de souligner, qu’en date de la rédaction des présentes, il est encore possible pour la CDPDJ de porter le dossier en appel. Il n’en demeure pas moins que ce jugement représente l’état du droit jusqu’à ce qu’une décision d’une instance supérieure ne le renverse.
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Par le Service juridique du Regroupement Loisir et Sport du Québec