L'accompagnement : un levier organisationnel et professionnel
Par: Nathalie Lafranchise, Ph. D. professeure et Kelly Cadec, étudiante à la maîtrise en communication
Département de communication sociale et publique, Université du Québec à Montréal
Mentorat Québec
Le départ massif des baby-boomers et le renouvellement des personnels sont des enjeux préoccupants pour les organismes communautaires et à but non lucratif. L’accompagnement par le mentorat et par le groupe de codéveloppement professionnel, favorise la transmission et le partage de savoirs tacites. Ces savoirs, non documentés, représentent la plus grande partie (70 %) des savoirs servant au fonctionnement d’une organisation ! Ces modes d’accompagnement pourraient s’avérer des leviers importants pour maintenir la vitalité des organismes tout en soutenant le développement professionnel.
Le thème de l’accompagnement est en résurgence au Québec (Houde, 2010; Paul, 2004). L’accompagnement trouve entre autres sa pertinence dans cette nécessité de composer avec la complexité des problématiques et des demandes sociales. On s’y intéresse également en lien avec des enjeux organisationnels tels que la relève, l’intégration, l’attraction et la rétention des employés, l’organisation apprenante, la gestion du savoir…
Actuellement, le départ massif des baby-boomers et le renouvellement des personnels sont des enjeux préoccupants pour les organismes communautaires et à but non lucratif. D’une part, les personnes d’expérience qui quittent ces organisations partent avec tout leur savoir tacite, ce qui constitue une imposante partie du savoir organisationnel. D’autre part, les nouvelles personnes qui arrivent dans ces organisations amènent des idées nouvelles et peuvent contribuer à enrichir les savoirs, mais sans l’établissement de liens intergénérationnels, elles perdent un temps fou à réinventer la roue… Ce fossé intergénérationnel crée des ruptures dans la socialisation professionnelle, la culture organisationnelle et l’harmonisation des pratiques. Ces ruptures nuisent aux processus de transmission et de partage des savoirs tacites.
Savoirs tacites et accompagnementLe savoir d’une organisation « peut être comparé à un iceberg dont la partie apparente est constituée de savoirs explicites alors que la partie submergée, la plus imposante, constitue les savoirs tacites » (Lafranchise, 2012). Les savoirs explicites ne représenteraient que 30 % des savoirs d’une organisation (Jacob et Pariat, 2000). Ceux-ci constituent par exemple, des fichiers, des procédures, des règles, des politiques, des stratégies d’action écrites, des référentiels (Dalkir, 2010 ; Davenport, 2003 ; Jacob et Pariat, 2000). Les savoirs tacites représenteraient la plus grande partie des savoirs (70 %) servant au fonctionnement d’une organisation, mais ne sont pas documentés. Ces derniers constituent un mélange d’expériences cumulées et d’intuitions formant des savoirs contextualisés, expérientiels et subjectifs chez les personnes (Jacob et Pariat, 2000). Ils ne peuvent se transmettre qu’à travers des interactions, et ce, sur une période suffisamment longue (Stoyko et Fang, 2007).
Dès lors, il apparaît dans l’intérêt des organismes communautaires et à but non lucratif de mettre en place des stratégies qui facilitent les interactions et le maillage des savoirs. L’accompagnement par le mentorat ou par le groupe de codéveloppement professionnel est une stratégie qui permet de transmettre et de partager des savoirs, tacites et explicites. De plus, ces modes d’accompagnement offrent un soutien personnalisé aux nouvelles personnes qui s’intègrent au sein des organismes.
L’accompagnement peut être compris comme une aide ou un appui individualisé. Il s’agit aussi d’une démarche qui contribue au développement de la personne accompagnée, en lien avec des enjeux organisationnels (Paul, 2004). L’accompagnement se décline en plusieurs modalités telles que : le mentorat, le coaching, la supervision, le tutorat, le parrainage/marrainage, le codéveloppement professionnel, etc. Tous les modes d’accompagnement ont leur importance. Toutefois, dans cet article, nous aborderons plus spécifiquement l’accompagnement par le mentorat et le groupe de codéveloppement professionnel sous l’angle de la transmission et du partage des savoirs tacites.
L’accompagnement par le mentoratLe mentorat est un mode d’accompagnement qui se manifeste à travers l’établissement d’une relation intergénérationnelle, de soutien, d’échanges et de partage dans laquelle une personne d’expérience (le mentor) investit sur une période suffisamment longue (moyen à long terme) son expérience et son expertise auprès d’une autre personne (le mentoré) qui souhaite en bénéficier. Le mentorat peut être proposé en réponse à différents besoins chez une personne par exemple : réussir une transition, consolider son identité professionnelle, faire de nouveaux apprentissages et se développer professionnellement. (Cuerrier, 2003; Houde, 2010; Lafranchise, 2012; Noe, Greenberger et Wang, 2002; Ragins et Kram, 2007; Turban et Lee, 2007).
La mise en place d’un programme de mentorat dans les organisations est une façon de soutenir des apprentissages multiples et en continu. Le mentorat, en facilitant la socialisation professionnelle, permet de transmettre et de partager des savoirs tacites en lien avec les rôles, les comportements à adopter selon la culture et les valeurs véhiculées, les performances attendues de l’autorité, etc. Le mentorat contribue aussi aux apprentissages relationnels aidant à mieux travailler avec les collègues. Il aide également au renforcement de la capacité à changer et à s’ajuster selon les situations. Enfin, le mentorat participe à la consolidation de l’identité professionnelle et au renforcement de la capacité d’adaptation (Lankau et Scandura, 2007).
L’accompagnement par le groupe de codéveloppement professionnelLe groupe de codéveloppement professionnel est défini comme une approche de formation par les pairs qui mise sur les interactions pour favoriser l’amélioration de la pratique professionnelle (Payette et Champagne, 2010). Cette modalité d’accompagnement implique la présence d’un animateur qui propose un exercice structuré de consultation à partir de problématiques vécues par les participants. À tour de rôle, les participants prennent le rôle de « client » pour exposer l’aspect de leur pratique qu’ils veulent améliorer, pendant que les autres agissent à titre de consultants pour aider ce « client » en enrichissant sa compréhension et élargissant sa capacité d’action. Par sa stratégie structurée, le groupe de codéveloppement offre un cadre qui peut faciliter l’émergence d’une communauté de pratique et d’apprentissage; ces communautés étant constituées d’individus en interaction qui, sur une période suffisamment longue, collaborent autour d’un intérêt commun (Payette et Champagne, 2010).
Ce mode d’accompagnement suscite la construction, l’acquisition, l’approfondissement et la transmission de savoirs tacites et explicites qui deviennent collectifs, voire organisationnels (Bourhis, Dubé et Jacob, 2004 ; Harvey, 2004 ; McDermott, 2003 ; Wenger, McDermott et Snyder, 2002). Payette (2000) souligne que cette stratégie s’appuie sur un cadre qui met en valeur, entre autres, l’expérience, l’importance des échanges avec les autres et la singularité de l’action qui se situe dans un contexte unique. Enfin, le groupe de codéveloppement permet de profiter de la richesse des échanges, de la variété des points de vue et du partage des savoirs de chacun.
ConclusionEn somme, le mentorat et le groupe de codéveloppement professionnel sont des modes d’accompagnement qui, parce qu’ils favorisent la transmission et le partage de savoirs tacites et explicites, pourraient s’avérer des leviers importants pour maintenir la vitalité des organismes communautaires et à but non lucratif.
Publication janvier 2014
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